De fouilles en expertises, les recherches se poursuivent depuis 1990 à la Grotte Mandrin de Malataverne. Elles offrent un éclairage inédit sur l’extinction de Néandertal, au moment où notre ancêtre biologique, Homo sapiens, conquiert peu à peu le continent européen.
Ces dernières années, la notoriété du site n’a cessé de croître au sein de la communauté scientifique. Qu’ils viennent d’Oxford, de Copenhague, de Toulouse ou d’ailleurs, de nombreux universitaires se sont succédé en terres malatavernoises, autour de l’équipe de L. Slimak (CNRS – UMR 5608 – Traces de Toulouse). À ce jour, près d’une quarantaine de chercheurs internationaux travaillent sur la Grotte Mandrin. Les campagnes de fouilles ont mis en évidence une douzaine installations humaines. Chaque niveau livre un nombre impressionnant de vestiges lithiques et paléontologiques permettant la restitution précise de l’organisation des groupes humains sur une période d’environ 80 000 ans. La bonne préservation de cet abri sous roche, la richesse et la diversité des informations qu’il recèle (restes humains, industries lithique et osseuse, éléments d’art pariétal, foyers, vaste structure circulaire liée à un aménagement domestique de l’espace…) font de ce site archéologique une référence pour approcher les derniers moments des sociétés néandertaliennes dans l’espace franco-méditerranéen. Un patrimoine inestimable pour notre Humanité, seule représentante de son espèce depuis lors…
Un parfait repaire
Du haut de ses 245 mètres d’altitude, la Grotte Mandrin domine cet axe majeur de communication où se confondent aujourd’hui la N7, l’A7 et la ligne TGV. Ouverte vers le nord, face à la plaine d’Allan et de Malataverne, cette cavité est en fait un abri peu profond, parfaitement adapté à l’observation des migrations de grands herbivores qui devaient transiter par là, en des temps très reculés.
Cet espace est clôturé et vidéoprotégé. Sujet d’étude, il est naturellement fermé au public. En 2013, l’espace de recherche s’est étendu hors de l’excavation naturelle actuelle, grâce à l’installation d’une verrière qui permet de sécuriser le site. Ce prolongement correspond peut-être à celui “d’origine”, qui s’est effondré au fil des millénaires. Il offre désormais à l’équipe de chercheurs la possibilité d’appréhender tout l’espace occupé par les hommes, à chacun de leur passage. En 2022, une nouvelle extension de la toiture a permis d’étendre le site archéologique.
Gaston Etienne, inventeur de la grotte
L’intérêt archéologique de la Grotte Mandrin est né dans les années 1960, lorsque Gaston Etienne y découvre des traces humaines datant de l’âge de Bronze. Dès 1991, la Grotte Mandrin fait l’objet de fouilles programmées d’abord dirigées par Yves Giraud, sous l’impulsion de Jean Combier (Directeur des antiquités de l’époque).
Gaston Etienne a tiré sa révérence en juillet 2010, à l’âge de 87 ans. Bien que résidant à Montélimar depuis une douzaine d’années, il était resté Malatavernois de cœur, et pour cause : il fut président de l’Amicale Laïque durant 25 ans, conseiller municipal pendant 18 ans, également très investi dans le domaine agricole, et surtout passionné d’archéologie. Le Dolium (jarre antique) de la villa romaine qui est exposé à l’entrée de la mairie, fait partie de ses travaux de remontage réalisés avec ses amis de l’association Archéologie Navon, devenue aujourd’hui ARChéoMala. En son honneur, l’esplanade qui s’ouvre depuis quelques années sur l’école porte son nom.
Qui est Néandertal ?
L’Homme dit de Néandertal est un représentant fossile du genre humain qui s’est développé et a vécu en Europe au Paléolithique moyen (entre environ 250 000 et 28 000 ans), tandis que notre ancêtre Homo sapiens évoluait de son côté sur le continent africain. Espèce différente de la nôtre, Néandertal n’en est pas moins Homme, mais a longtemps pâti d’un jugement négatif, étant considéré dans l’imagerie populaire comme un être simiesque et fruste. Puis au fil du temps, on lui a attribué une riche culture matérielle, dite “moustérienne”, voire des préoccupations esthétiques et spirituelles (sépultures). Des temps préhistoriques, les archéologues ne disposent que des vestiges les moins périssables : seuls quelques outils en pierre et ossements témoignent de ces vies passés, reconstituées de manières nécessairement parcellaires.
À la croisée de deux espèces d’Homme…
Pour Ludovic Slimak, en charge du programme de recherche de la Grotte Mandrin depuis 1998, de nombreux et fascinants mystères restent à élucider : quels étaient les comportements de Néandertal, ses modes de production ? Son rapport au monde était-il similaire à celui d’Homo Sapiens, dont le passage par la Grotte Mandrin a été identifié au 42e millénaire (soit 6 000 avant Chauvet) ? Y a-t-il eu – et comment – interaction entre les deux espèces? Comment et pourquoi Néandertal s’est-il éteint ? Une strate en particulier a retenu l’attention des chercheurs. Elle est datée du 54e millénaire, riche d’une industrie de type “Néronienne” particulièrement évoluée, et qui se trouve étonnement “coincée” entre plusieurs passages de Néandertal… Selon les archéologues, elle bouleverse la connaissance actuelle de notre préhistoire, à la croisée de Néandertal et d’Homo Sapiens.
“Crépuscule néandertalien pour aube moderne”
Sapiens et Néandertal se sont-ils rencontrés il y a 54 000 ans, à la Grotte Mandrin ?
Le réalisateur Rob Hope a consacré en 2015 un documentaire entier, de 52 minutes à la Grotte Mandrin (voir l’article sur le tournage). Suivant de près l’enquête menée par les scientifiques, il aborde cette question en focalisant sur le niveau néronien de la Grotte Mandrin. Ce film a bénéficié d’une subvention de la commune de Malataverne. Il a été sélectionné et primé au sein de divers festivals et a notamment obtenu le Prix du Jury et le Prix du Public au Festival du Film Archéologique de Narbonne en octobre 2016… En 2015, les conclusions finales de cette enquête n’étaient pas encore connues…
Les Néroniens, un peuple exotique…
Le Néronien (du nom de la grotte de Néron, en Ardèche), est défini en 2004 par L.Slimak dans sa thèse, Les dernières expressions du Moustérien entre Loire et Rhône, sur la base d’un sondage d’environ 2 m2 à la Grotte Mandrin et de toutes petites collections issues de sites ardéchois. Il s’agit d’une industrie – ou culture – lithique qui se caractérise par la production de lames, de lamelles, mais aussi de nombreuses pointes de silex d’1 à 3 cm maximum. Ces vestiges microlithiques et standardisés contrastent avec la diversité des outils néandertaliens retrouvés avant, mais aussi après, le passage du groupe néronien à la Grotte Mandrin. Le caractère remarquable de cette industrie lithique avait été pressenti dès 1967 par Jean Combier, sur la base des données de la grotte de Néron. Il en avait défini l’outil type, la “pointe de Soyons”, et parlait à cette époque de “Moustérien évolué”. En 2008, L. Slimak relève que les structures historiques aux alentours du 50e millénaire divergent de part et d’autre du Massif central ; il questionne alors les relations entre cultures moustériennes et cultures dites “de transition” (notamment Châtelperronien d’une part, Néronien d’autre part).
Puis en 2015, les travaux de Laure Metz viennent préciser la fonction d’arme de plus de 1500 pointes retrouvées sous la Grotte Mandrin : la plupart n’ont pu fonctionner qu’à l’aide de propulsion mécanique ; les plus petits modules n’ont pu être propulsés qu’à l’aide de l’arc, faisant reculer son apparition en Europe d’environ 40000 ans.
Retrouvez certains détails de ces travaux développés dans le dossier d’Archéologia de Juin 2017.
… Bref, un peuple “moderne” ?
Aménagement architecturé de l’espace domestique (= plus vieux “fond de cabane” connu au monde), production d’outils – dont des armes – en série, microlithiques et standardisés, présence d’ocre ou encore d’une griffe d’aigle… Ce groupe humain est telle une tâche d’huile sur une nappe de vinaigre ; il est foncièrement différent des autres et ne peut venir que d’ailleurs. Le caractère “moderne” du Néronien laisse lui aussi peu de place au doute. En février 2022, une étude parue dans Science Advances a permis de trancher la question, grâce à l’analyse comparative de 9 dents humaines retrouvées dans la plupart des niveaux archéologiques de la cavité. Ainsi, ce groupe néronien témoigne de la plus ancienne incursion d’Homo sapiens en Europe, en vallée du Rhône, il y a 54 000 ans.
La Fuliginochronologie, Késako ?
Ségolène Vandevelde étudie les couches de suies emprisonnées au cœur de concrétionnements millénaires. Cette méthode innovante, appelée Fuliginochronologie, a été mise au point à partir de plaquettes calcaires issues du délitement des parois de la Grotte Mandrin. Ce délitement continu de la paroi a permis aux archéologues de retrouver ces vestiges rocheux dans chacun des sols archéologiques, par ailleurs extrêmement bien datés par le laboratoire d’Oxford, de – 42 000 à environ – 120 000 ans. Ces plaquettes sont de précieux témoins du passé : elles portent à leur surface des concrétions enregistrant de multiples films de suie, “vestiges” des feux allumés par les hommes sous la cavité. Elles renseignent ainsi sur les rythmes de passage de ces groupes humains à la Grotte Mandrin, et disent par exemple que près de 450 occupations se sont succédées, mais aussi que des groupes culturels très différents se sont croisés sur ce territoire par deux fois, à 12 000 ans d’intervalle.
Néandertal remplacé, 2 fois, à la Grotte Mandrin…
il y a 54 000 ans, des Néandertaliens de culture dite moustérienne de type Quina rhodanien ont subitement été remplacés par le groupe néronien moderne (cf. ci-dessus) ; puis, les derniers Néandertaliens connus de la région ont rapidement été remplacés à leur tour, il y a 42 000 ans, par un groupe du Protoaurignacien (culture attribuée ailleurs en Europe à Homo sapiens). Grâce à la fuliginochronologie, ces successions culturelles s’observent à l’échelle d’une vie humaine, et parfois à 6 mois près, chose inédite pour l’étude de temps si anciens. Or, que ces individus se soient trouvés nez-à-nez sur ce même territoire, ou bien qu’ils se soient soigneusement évités, les «événements archéologiques» révélés à la Grotte Mandrin restent d’autant plus troublants qu’un même scénario se répète, à 12 000 ans d’intervalle, en mettant en scène des groupes humains de cultures – et de natures – très différentes.
Thorin, dernier néandertalien méditerranéen ?
À partir de 2015, au cœur du dernier niveau archéologique d’occupation néandertalienne de la Grotte Mandrin, les vestiges d’un corps sont progressivement dégagés sur plusieurs années. Baptisé “Thorin” par l’équipe scientifique, en référence aux derniers rois nains de Tolkien, cet individu est le seul néandertalien à peu près complet trouvé depuis “Pierrette” il y a 40 ans (Saint-Césaire, 1979). De fait, cet homme mort il y a 42 000 ans est le dernier représentant connu de son espèce, en vallée du Rhône. Le génome de Thorin révèle, dans une étude publiée le 11 septembre 2024 dans Cell Genomics, que sa population est profondément divergente des lignées classiques néandertaliennes d’Europe. Pour autant, l’enquête révèle aussi que Thorin appartient à la même population que «Nana», néandertalienne dont le crâne fut retrouvé en 1848 à Gibraltar, soit plus de 1300km à vol d’oiseau de Malataverne. La divergence entre ce peuple rhodanien-méditerranéen représenté par “Thorin et Nana” d’une part, et les néandertaliens classiques européens d’autre part, est très importante : leur séparation génétique remonte à 105 000 ans. Autrement dit, durant 50 millénaires et jusqu’à leur extinction définitive, ces deux groupes néandertaliens, pourtant localisés à quelques centaines de kilomètres, n’échangeront plus aucun gène…
Isolements ? Replis ? Cette découverte malatavernoise révèle l’existence de structures anthropologiques inattendues parmi les derniers néandertaliens en Europe et nous fait certainement toucher du doigt, selon L. Slimak, l’une des causes profondes de l’extinction de cette espèce humaine.
À lire : l’article très complet sur ce sujet de The Conversation.
Pour aller + loin
ces découvertes inédites amènent les archéologues à repenser ce que furent les derniers néandertaliens, ainsi que les processus qui conduisirent à leur disparition définitive. Au sein d’un ouvrage paru chez Odile Jacob le 3 mai 2023, Le dernier néandertalien, L. Slimak nous livre le détail de son enquête archéologique, errances comprises, qui s’est essentiellement déroulée à Malataverne. Ce faisant, il partage également l’étendue de ses réflexions sur notre propre destinée, et la façon dont s’éteignent les Hommes.
En octobre 2024 sur Arte, et en avant-première le 30 août 2024 à Malataverne : découvrez le documentaire “Thorin, le dernier néandertalien?”
Pour aller plus loin, sur la Fuliginochronologie :
Expérimentations de S. Vandevelde : Des suies à la trace des peuples préhistoriques...
=> En septembre 2023 : publication de ces travaux comparatifs dans la revue Archaeological and Anthropological Sciences : https://doi.org/10.1007/s12520-023-01869-3
La fuliginochronologie, expliquée par Ségolène Vandevelde sur France Culture.
Communiqué du CNRS au sujet de la fuliginochronologie – 27 novembre 2017.
Vandevelde S, Brochier J É, Petit C, Slimak L. 2017. Establishment of occupation chronicles in Grotte Mandrin using sooted concretions: Rethinking the Middle to Upper Paleolithic transition. Journal of Human Evolution. 112, 70-78. https://doi.org/10.1016/j.jhevol.2017.07.016
Vandevelde, S., Brochier J É, Desachy B, Petit C, Slimak L. 2018. Sooted concretions: A new micro-chronological tool for high temporal resolution archaeology, Quaternary International. 474 (B), 103-118. , https://doi.org/10.1016/j.quaint.2017.10.031
A écouter sur France Inter : la Terre au carré – Reportage du 02/11/2020.
Ségolène Vandevelde, Jacques Élie Brochier, Christophe Petit, Ludovic Slimak
LA GROTTE MANDRIN
nouveau regard sur l’extinction d’une espèce humaine…
L’ensemble des données de la Grotte Mandrin, collectées à Malataverne puis étudiées depuis près de 30 ans, apportent un nouvel éclairage sur l’extinction des peuples néandertaliens, alors que ces Hommes avaient vécu en Europe durant plus de 200 000 ans et traversé des climats tempérés comme glaciaires. Grâce à la Fuliginochronologie, et de manière inédite pour l’étude de périodes si reculées – dont les vestiges sont restreints et dépourvus de témoignages écrits…, cet éclairage est ici d’ordre sociologique et anthropologique. C’est cette approche originale que Ludovic Slimak développe via un article paru dans Quaternary Science Review le 22 décembre 2018, et qu’il est également possible de retrouver au fil de plusieurs articles parus au sein du catalogue d’exposition “Le troisième homme, préhistoire de l’Altaï”.
ET POUR ALLER ENCORE PLUS LOIN :
“Néandertal, de vous à moi. Enseignements de la Grotte Mandrin sur la dernière extinction d’humanité”… Un livre pour comprendre…
Cet ouvrage est aujourd’hui en rupture de stock, mais disponible gratuitement en ligne, au format PDF.
Grotte Mandrin 3D, une expo pour voir…
Découvrez aussi l’expo photo des vestiges de la Grotte Mandrin en mairie, aux horaires d’ouverture habituels (demandez la tablette numérique à l’accueil pour visionner les images en réalité augmentée).
JANVIER 2022
“NEANDERTAL NU – Comprendre la créature humaine“
Et si nous nous étions fourvoyés sur ce que fut l’homme de Néandertal ? Dans un véritable récit de voyage, Ludovic Slimak (CNRS – responsable scientifique de la Grotte Mandrin de Malataverne) retrace son parcours de chercheur et nous entraîne dans une étonnante enquête archéologique. Pendant trente ans, il a inlassablement traqué ce qu’il appelle la créature. Se confrontant aux vestiges de l’homme de Néandertal – particulièrement à Malataverne, mais pas seulement – il décrit un être inattendu et dont la nature pourrait bien nous avoir totalement échappé. La créature humaine est décryptée d’une plume vive, parfois sarcastique, qui affronte sans détour nos fantasmes et nos projections sur cette humanité éteinte. Cette créature humaine, c’est Néandertal, bien sûr. Mais c’est nous, aussi, dont un portrait inattendu émerge de ce regard croisé à travers les millénaires.
En savoir + / précommander : Néandertal nu – paru chez Odile Jacob le 5 janvier 2022.
A voir aussi :
Le film de Rob Hope et Pascal Cuissot au sujet de Néandertal : À la rencontre de Néandertal. Ludovic Slimak et la Grotte Mandrin de Malataverne y sont évoqués. Ce film a être diffusé courant 2020 sur Arte et lors de la Journée préhistorique de Malataverne 2021.
Peuples Premiers : nomades du Rhône Paléolithique est un documentaire de Rob Hope, paru en 2022, également soutenu par la commune de Malataverne. Le réalisateur nous fait découvrir les principaux sites paléolithiques locaux, dans un rayon de 80 km autour de la Grotte Mandrin. Ses itinérances à travers les âges, tantôt longent, tantôt traversent le Rhône… construisant ainsi, d’un gisement archéologique à l’autre, le récit de nos origines sur le continent européen.
2017 – Un été de fouilles à la Grotte Mandrin !
A lire aussi :
Origine du nom de la Grotte Mandrin…
L’Homme de Néandertal, il y a 100.000 ans, aimait-il les rapaces ? (parution janvier 2015)
Article du Dauphiné Libéré – Juillet 2013.
Sur le site de la BBC, suite aux publications de Tom Higham.
Actualités de la Grotte Mandrin, été 2016.
Actualités de la Grotte Mandrin, été 2017.
Journée préhistorique 2017.
Journées préhistoriques 2018.
Journée préhistorique 2019.
Journée préhistorique 2021.
Journée préhistorique 2022.
“Un os à la Grotte Mandrin” – Tournage Mars 2018.
Parus dans Le Monde – 2018 :
Ce que Néandertal dit de nous (P. Barthélémy, Le Monde du 28/03/18)
A la recherche des derniers néandertaliens de France (P. Barthélémy, Le Monde du 24/09/18)
À propos d’autres sites régionaux :
Cannibalism in the forest : A comment on Defleur and Desclaux (2019)
Pour suivre l’actualité des parutions autour de la Grotte Mandrin :
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Grotte Mandrin : revue de presse 2023 !