Ça tourne, croque, questionne, fouille, trouve, bouillonne !
Comme chaque été depuis 27 ans, les archéologues ont investi début août le petit abri malatavernois devenu “grand site de référence en Eurasie pour la transition du paléolithique moyen au paléolithique supérieur”, comprenez : pourquoi Néandertal a-t-il disparu ? Quand et comment notre ancêtre Homo sapiens est-il arrivé ? Se sont-ils jamais vraiment rencontré ? Un site de référence vous dit-on, et pour cause…
Séances de rattrapage
Si vous ne l’avez encore lu, procurez-vous vite et lisez le N°555 d’Archeologia : vous n’avez pas plus d’un mois avant de pouvoir participer au jeu-concours organisé par la commune, ARChéoMala et les éditions Faton, dans le cadre de la “Journée préhistorique” du 22 septembre prochain. Et si un mois n’y suffit pas, sachez au moins que les hommes chassaient à l’arc à Malataverne il y a 50 000 ans, c’est-à-dire 40 000 ans plus tôt que supposé. Si vous n’êtes pas encore parti en vacances, filez donc en Dordogne au Musée National de Préhistoire, et découvrez phalange et quenottes de ce qui est sans doute le tout dernier Néandertalien connu d’Europe (un Malatavernois répondant au nom de Thorin – le géant nain de Tolkien -… du meilleur ADN qui soit). Si vous ne l’avez pas encore vu, profitez d’un orage d’été pour vous caler devant votre écran et savourez, à la nuit tombée, ce “Crépuscule néandertalien pour aube moderne”, fabuleux et maintes fois primé documentaire de Rob Hope.
Ça tourne… encore
Rob, justement, vient à nouveau interroger le chercheur Ludovic Slimak, objectif au poing. Il répond ainsi à une commande de la commune qui prévoit un partenariat au long cours avec lui. Il s’agit de produire une série de documentaires de 26 minutes, libres de droit, qui permettront d’informer périodiquement le grand public sur l’évolution des recherches, tout en éclairant à chaque fois une problématique ou une période en particulier. L’épisode qui sera livré début 2018 constitue donc l’épisode 1. Bien sûr, la rythmicité des épisodes et les sujets à venir ne sont pas strictement définis à l’avance, puisqu’il s’agit de respecter le travail de recherche en cours et la progression des parutions scientifiques. Mais l’on peut dire que ce premier épisode sera déjà complété d’un petit film de 10 minutes à destination du jeune public, prévu dans le cadre de la politique culturelle et éducative de la municipalité menée en direction de la Jeunesse.
Battements des sociétés humaines passées & chroniques à haute résolution
Pour l’été 2017 et face caméra, l’archéologue responsable a tour à tour évoqué les dernières avancées et trouvailles de la semaine, les récents Masters soutenus en archéozoologie ou en matière d’analyse spatiale, et les publications imminentes. Dans quelques semaines en effet, paraîtront deux articles importants dans la presse spécialisée. Ces revues scientifiques internationales [1] viennent de valider une méthode de recherche inédite, développée ici à Malataverne, et baptisée fuliginochronologie. Cette technique originale et innovante étudie l’alternance des couches de suie et de calcite déposées sur les parois de la grotte et en tire des informations révolutionnaires, tant pour la Grotte Mandrin en particulier que dans la perspective d’études plus générales et à venir sur les temps anciens. Là où hier, les techniques de datation permettaient d’identifier les passages humains à un millénaire près, la fuliginochronologie développée par Ségolène Vandevelde et Ludovic Slimak réduit désormais cette résolution de temps à l’échelle d’une vie humaine ! Elle nous dit ainsi que les hommes sont passés près de 240 fois à la Grotte Mandrin entre 120 000 et 42 000 ans ; elle nous dit aussi qu’il y a 50 000 ans, et pour la première fois en Europe, Homo Sapiens a littéralement “pris” ce territoire aux Néandertaliens pourtant sur place peut-être la veille, mais à coups sûr pas plus de deux ou trois saisons ; elle nous dit encore que cette scène inédite de l’histoire de Néandertal s’est rejouée 8 000 ans plus tard, encore à Malataverne, mais de façon fatale cette fois, puisqu’on ne trouve plus trace de lui en France méditerranéenne après cette époque. Et ces suies disent bien d’autres choses encore, les études se poursuivent, car il est apparu que chaque groupe culturel avait son rythme bien à lui sous le petit abri, plutôt ternaire pour notre ancêtre biologique, et tout autre pour les sociétés néandertaliennes.
Science pour tous & livraison d’entretiens
Il serait possible de développer tant de sujets encore autour de la Grotte Mandrin, qu’il est impossible d’en faire le tour en un ou deux articles. Et pourtant, depuis le temps que l’équipe municipale arpente la colline, elle en redescend toujours mi-éblouie, mi-frustrée : tant de choses à comprendre encore, mais plus tard ; temps de choses à partager déjà, mais comment ?… “Eh, qu’a-t-il dit à propos de ce silex déjà ?”, “je ne sais plus, moi non plus !”, “et çà, c’était à quel millénaire ?”, “non non, un os long de cheval il me semble. Et puis un racloir posé à la verticale, c’est bizarre”, “mais c’est quoi au juste un racloir ?”… Vu le site et la multiplicité des thèmes en questions, les élus malatavernois ont eu à cœur de soutenir l’équipe scientifique depuis quelques années, comme de protéger et valoriser ce patrimoine auprès du plus grand nombre. Entreprise parfois ardue et coûteuse, et qui a nécessité le recours au mécénat. Une dizaine d’entreprises locales ont ainsi généreusement accompagné le projet de videosurveillance du site en 2016 ; ils sont à ce jour 18 à soutenir, chacun à leur mesure (avis à tout amateur, il reste des places de mécène disponibles…), l’édition prochaine d’une monographie scientifique, produit d’un quart de siècle de recherches continues. Cette parution prévue pour les prochains mois sera accompagnée d’un ouvrage d’entretiens avec Ludovic Slimak, à la tête de ces recherches depuis 1998 aux côtés d’Yves Giraud, Pascale Yvorra et Laure Metz. Au fil d’une longue discussion, il reviendra sur chaque strate de ces vies humaines fossilisées à la Grotte Mandrin et nous fera partager la vision qu’il en tire de ces sociétés passées… Jusqu’à ce que de nouvelles données viennent éclairer ou contredire sa compréhension du moment. Car il vous dira aussi comment, au bout de sa troisième année de thèse, il a dû admettre qu’il s’était trompé et qu’il n’avait au fond encore “rien vu” de ce qui allait apparaître, au fil des fouilles, comme une évidence.
Grotte à la croque
Ce carnet d’entretiens a bien sûr pour but de vulgariser le discours scientifique, et donner à voir la force vraie de ce (comme de tout) patrimoine, à la fois héritage et lumière sur notre condition. Mais pour se figurer ces peuples millénaires et différents, se projeter dans les Malataverne d’autrefois, tantôt froids et steppiques, tantôt aux allures de forêt amazonienne improbable, faite de chênes et de tilleuls, les mots ne pouvaient évidemment suffire. C’est pourquoi la commune a fait appel à l’artiste et préhistorien Michel Grenet. Rattaché au même laboratoire de l’Université de Toulouse que L. Slimak, Michel est aussi plasticien indépendant et régulièrement convoqué par ses pairs archéologues pour croquer l’idée qu’ils se font des histoires passées. Pour les besoins du livre sur Mandrin, il vient tout juste de découvrir le petit abri sous roche… Bouche bée d’abord, mine pensive, interrogative, il s’étonne, puis commence à voir… tant de choses inédites à transcrire, tant d’images qu’il n’avait pas imaginé possibles, mais qui feront à coup sûr un bel et sensible ouvrage, que la municipalité a choisi d’offrir à chaque foyer malatavernois bientôt. Esquisses à suivre.
RDV vendredi 22 septembre 2017 à la “Journée préhistorique de Malataverne”
Envie d’en savoir + sur notre préhistoire ? Rendez-vous sur l’esplanade Gaston ETIENNE, située devant l’école de Malataverne. Vous y découvrez, de 16h à 20h, les animations, expositions, ateliers préhistoriques proposés par la commune et l’association ARChéoMala.
Dès à présent, vous pouvez aussi participer au jeu-concours organisé par la commune en partenariat avec les éditions Faton (coupon réponse ici), autour des articles sur la Grotte Mandrin parus dans le N°555 d’Archéologia. Depuis le 15 septembre 2017, ces articles sont disponibles en ligne ici, sur le site de la mairie de Malataverne. Les réponses peuvent être déposées à l’accueil de la mairie, puis le 22/09 à l’esplanade jusqu’à 18h avant le tirage au sort.
Et pour aller vraiment plus loin…
À lire : le catalogue sorti à l’occasion de l’exposition temporaire “Le 3e Homme, préhistoire de l’Altaï”, organisée par le Musée National de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac et la Réunion des musées nationaux-Grand Palais.
Il y est bien sûr question de cette troisième humanité découverte récemment en Russie : l’Homme de Denisova. Mais ce bel ouvrage traite surtout de la question des humanités, multiples au passé, unique aujourd’hui, reculant jusqu’au 50e millénaire, grâce à la Grotte Mandrin, l’histoire de ce bouleversement majeur qui se conclura 8 000 ans plus tard en Vallée du Rhône par l’effacement de la diversité biologique humaine. À la fin, il n’en restera qu’un : notre ancêtre Homo sapiens.
Au fil de ses pages, vous découvrirez 5 articles détaillés émanant de l’équipe scientifique de la Grotte Mandrin :
- Sociodiversité et paradoxes, de la fin du Paléolithique moyen à l’émergence du Paléolithique supérieur.
- Pénombres et éclairages européens.
- Mosaïques culturelles des derniers Néandertaliens et des premiers Hommes modernes. Les données de la vallée du Rhône.
- Des arcs et des flèches… Il y a 50 000 ans. Reconnaissance de technologies en limite de visibilité archéologique.
- Voyage au bout de la suie. Étude micro-chronologique des occupations humaines à la Grotte Mandrin.
Notes
[1] L’article du Quaternary International traitera de la méthode développée ici, à partir des données de la Grotte Mandrin et celui du Journal of Human Evolution informera sur toutes les implications induites